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Les Objectifs de Developpement Durable ne Pourront être Atteints sans le Concours de la Societe Civile

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byPeter J. Jacques, Ph.D.
onApril 19, 2019

La vie et la mort de communautés entières dépendent de la réalisation des 17 objectifs de développement durable (les ODD) adoptés à l’unanimité par les Nations Unies en 2015, dont l’éradication de la pauvreté, la conservation des forêts et la lutte contre le changement climatique. Prenons, à titre d’exemple, le peuple autochtone Amazigh qui vit dans les montagnes autour de Marrakech : ils sont représentatifs des populations qui ont besoin d’être les premiers bénéficiaires du développement durable.

Les Amazighs du Haut Atlas mènent des vies rudes dans de petits villages. La plupart travaillent comme journaliers et agriculteurs et perçoivent des revenus à peine suffisants pour subvenir aux besoins de leurs familles et chauffer leurs maisons. L’éducation est certes l’une de leurs préoccupations majeures, mais elle reste un objectif difficile à atteindre pour un certain nombre de raisons. Parfois, les familles ne peuvent pas assumer les coûts des sacs à dos et des livres, même lorsque l’école est ouverte et gratuite. Le défi est particulièrement difficile pour les filles, car, comme l’a expliqué une personne (l’un des membres de la Communauté), « Comment un père peut-il laisser ses filles étudier s’il fait nuit, quand elles doivent littéralement voyager {pour se rendre à l’école} ? » L’effet d’une éducation inachevée est profond, et quand nous avons demandé à un sexagénaire quels étaient, selon lui, les plus grandes menaces pour l’avenir de sa communauté, il n’avait pas confiance en ses propres expériences, et n’a pu répondre que par : « Que puis-je dire ? Je ne suis pas éduqué – je ne suis pas allé à l’école. »

Grâce à un partenariat entre l’Université de Floride centrale (Orlando), le Centre Hollings pour le dialogue international (Washington D.C. et Istanbul) et la Fondation du Haut Atlas (Marrakech), nous avons récemment mené un travail de terrain dans le Haut Atlas, où nous avons parlé aux populations locales qui nous ont ouvert leurs cœurs.

Le message le plus cohérent que nous ayons entendu de la part des habitants du Haut Atlas est que leur avenir dépendait de l’eau. Un groupe nous a dit que lorsque la pluie est abondante et ponctuelle, tout va pour le mieux ; à défaut, c’est une tout autre histoire. Ils craignent que le changement climatique ne se répercute sur la pluviosité ou que la pluie ne soit « pas/plus au rendez-vous ». Ils ont en effet de bonnes raisons de s’inquiéter, car le changement climatique devrait considérablement impacter les précipitations, ce qui réduirait les cours d’eau, les lacs et les nappes phréatiques.

De fait, la sécheresse est un souci constant. La Banque mondiale estime que 37% de la population travaille dans l’agriculture, tandis que la production de céréales varie énormément en raison de la variation annuelle des précipitations – l’année 2018 a heureusement été une bonne année en la matière. Le changement climatique rendra les populations du Haut Atlas beaucoup plus vulnérables alors qu’elles vivent déjà à la limite de la survie. Dans l’une des régions – NdT : que nous avons visitées –, le changement dans le calendrier et dans la quantité des précipitations était déjà perceptible dans la perte importante d’arbres fruitiers. Dans cette même région, on nous a dit qu’il y avait une crainte qu’il n’y ait plus d’eau dans vingt ans et que, pour ces personnes qui sont profondément liées à la terre, il n’y ait plus « aucune alternative ».

Les populations du Haut Atlas se retrouvent dans une situation extrêmement vulnérable. Un groupe nous a confié qu’il avait tellement besoin de ressources de base qu’il brûlait des déchets plastiques pour chauffer son eau. Pire encore, ils pensent avoir été laissés pour compte par la société et qu’ils avaient le sentiment que « les habitants des montagnes ne comptaient pas ». Ils estiment que la société marocaine est profondément injuste : il n’y a pas d’aide pour les malades, peu d’aide à l’éducation, peu de protection contre le froid ; et que, pour certains, la corruption est la plus grande menace pour un avenir durable.

Par conséquent, la société civile a un rôle important à jouer dans la réalisation des objectifs de développement durable. La Fondation du Haut Atlas s’emploie à aider les habitants de cette région à s’organiser en collectifs qui décident à la fois de ce que « le collectif » souhaite et des voies à suivre pour atteindre ces objectifs. Les femmes se sont organisées en coopératives dont elles sont les propriétaires et dont elles collectent le fruit (les dividendes) de leur travail (leurs produits). Les membres d’une coopérative ont constitué un lobby lors de la réunion sur le climat de la Conférence des Parties de 2015 à Marrakech. Des associations d’hommes ont développé des pépinières d’arbres qui non seulement génèrent des revenus, mais protègent également des bassins versants entiers – et donc leurs réserves en eau pour le futur. Ils participent également aux marchés de la séquestration du carbone. À cet égard, le Département régional de l’eau et des forêts de Marrakech leur fournit des caroubiers et l’autorisation de planter ces arbres dans les montagnes entourant leurs villages.

Cependant, l’élément le plus important de ces collectifs est peut-être qu’ils donnent à chacun des membres qui les composent voix au chapitre. Les dirigeants de ces collectifs ont le droit formel de s’adresser directement aux gouvernements régionaux pour connaître leurs besoins, et cette voix ne serait pas entendue du tout sans cette organisation formelle en collectif. Ces organisations ne peuvent pas remplacer les services gouvernementaux, mais elles renforcent la capacité de la communauté.

Non seulement, ces collectifs donnent aux gens une influence sur leur vie actuelle et sur celle de leurs enfants, mais ils s’aiment et ils ne luttent pas seuls. Nous pouvons témoigner d’une profonde solidarité. À plusieurs reprises, les collectifs nous ont dit : « Nous nous aimons, nous formons une famille », « Nous sommes comme un », « Nous nous entraidons » et la conviction que « je serai avec toi – à tes côtés ». Le monde est décidément en pleine mutation, et suit une voie non viable, donc si nous voulons atteindre les objectifs en matière de développement durable, tous les peuples comme celui du Haut Atlas doivent compter et leur voix mérite d’être entendue.

Peter J. Jacques est Professeur de Sciences Politiques à l’Université de la Floride Centrale à Orlando, aux États-Unis.

Ci-dessus, des femmes amazighes dans un village avec une association qui cultive une pépinière d’oliviers. – Crédit photo : Peter J. Jacques